voiture électrique en charge pour illustrer le sujet de la main-d'oeuvre qualifiée dans le secteur des transports électriques

Qui fera la révolution électrique des transports au Québec?

Le Québec est à la recherche de solutions pour mieux former la main-d’œuvre des transports à la métamorphose en cours.

Chaque mois, on compte environ 8 300 véhicules électriques de plus sur les routes, les sentiers et les lacs de la Belle province. Et cette tendance ne fera que s’accélérer le gouvernement provincial estime à un million le nombre de véhicules électriques supplémentaires en circulation d’ici 5 ans. Pourtant, à l’heure actuelle, très peu de programmes de formations intègrent l’apprentissages des particularités de la manutentation d’une batterie haute tension.

Secteur des transports électriques : plus vite que la main d’oeuvre ! 

Cet exemple, en l’apparence banal, illustre l’un des plus grands défis auxquels le secteur des transports électriques et intelligents (TEI) fait face : l’écart entre les compétences de la main-d’œuvre disponible et celles qui sont requises pour travailler sur les nouveaux véhicules. Techniciens/techniciennes, réparateurs/réparatrices, assembleurs/assembleuses ou ingénieurs/ingénieures : tous les métiers reliés au développement, à la fabrication et à l’entretien sont touchés par la transformation rapide du secteur.

« Il est très difficile de trouver des candidats à l’emploi ayant des compétences liées au réseau CAN [des véhicules électriques] et à la batterie haute tension », résume la « Cartographie des besoins de formation et des nouvelles compétences », publiée en novembre 2023 par la grappe des TEI, Propulsion Québec.”

Et si, d’ici 2030, nous devrions compter plus de 116 000 bornes publiques sur le territoire québécois, en plus de 600 000 bornes privées, il n’existe pas non plus, actuellement, de programme visant à former des techniciens spécialisés dans la maintenance des bornes de recharge. Pour l’instant, le réseau québécois, encore jeune, demande peu d’intervention—mais qu’en sera-t-il dans quelques années ?

Tandis que le Québec fonce tête baissée dans le développement du transport électrique, il doit mener de front une autre révolution : celle de la formation de la main-d’œuvre.

 

Une industrie québécoise à révolutionner

« Le continent est en train de vivre ce que nous avons vécu, à une certaine époque, en Europe », raconte Xavier Montagne, directeur de l’innovation chez Vision Marine Technologies, un concepteur de véhicules maritimes électriques situé à Boisbriand.

M. Montagne est entré en poste au cours de la dernière année, après avoir cumulé les expériences en France et avoir été recruté spécifiquement par Vision Marine, faute de candidats disponibles au Québec pour son rôle.

« Il faut former les gens à une véritable révolution industrielle. On vient du thermique—de l’essence et du gaz—et on va vers l’électrique. Tout doit s’adapter : les formations, les professeurs, la convergence entre les différents domaines reliés aux transports électriques… », explique-t-il.

Pourtant la solution ne se trouve pas (ou pas seulement) dans le recrutement de nouveaux employés qui, de toute façon, se font rares. « Il y a actuellement 1 300 emplois affichés sur le babillard de Propulsion Québec », indique Alexis Laprès-Paradis, vice-président Développement et Opérations de la grappe des TEI.

Non seulement les entreprises s’arrachent les bons candidats, mais elles doivent également compétitionner avec les secteurs des énergies propres et de l’aérospatial, qui recherchent les mêmes profils académiques… eux-mêmes souvent incomplets !

 

 La formation sur le tas : un “patch” sur un nid de poule

« En ce moment, les entreprises n’ont pas le choix de pallier par de la formation à l’interne », affirme M. Laprès-Paradis. Xavier Montagne en sait quelque chose, lui qui passe une partie très significative de son temps à accompagner les employés. « On parle de formation presque en continu, de coaching permanent. »

Actuellement, les nouvelles recrues de Vision Marine passent environ trois mois en tandem avec des employés plus expérimentés. « Pour qu’ils prennent leurs marques et qu’ils développent les bonnes habitudes, mais aussi, parfois, pour qu’ils désapprennent ce qu’ils ont appris à l’école !» s’exclame Xavier Montagne.

 

Des formations académiques incomplètes

Les compétences génériques de bases acquises pendant les formations académiques ne sont souvent pas adaptées aux particularités des TEI, une industrie encore jeune où l’innovation occupe une place prédominante. L’électrification exige de plus des employés qu’ils apprennent les bases des domaines avoisinants le leur afin de comprendre comment leur travail s’inscrit dans le grand tout.

Heureusement, convaincre les employés de poursuivre leur formation en entreprise n’est pas un enjeu, bien au contraire. « Avoir une culture d’apprentissage dans l’entreprise est souvent un atout, aux yeux de la jeune génération. Les jeunes restent moins longtemps qu’avant dans un emploi, mais cela fait en sorte qu’ils y entrent en se demandant comment il pourra leur permettre de poursuivre leur trajectoire professionnelle. En ce sens, recevoir une formation de pointe est vu comme un avantage », avance Xavier Montagne.

 

La rétention des talents :  vitale !

« Ce qui serait dramatique pour nous, c’est si on avait un ou deux anciens qui quittaient l’entreprise… Là, on aurait un vrai problème : on n’a pas de plan B », lance Xavier Montagne.

Une situation que connaissent de très nombreuses entreprises des TEI. Lors de la cartographie des compétences publiée par Propulsion Québec en novembre 2023, 60% des répondants ont dit offrir ou vouloir offrir de la formation de mise à niveau ou de perfectionnement à leurs nouveaux employés… Dans les entreprises restantes, l’apprentissage doit se faire au gré des divers projets—ou, dit de manière plus brutale, « sur le tas ».

 

Analyser des besoins en compétences 

Non seulement les PME qui composent la majorité du tissu entrepreneurial québécois n’ont souvent pas les ressources humaines pour mettre sur pied des formations de pointe, mais elles manquent aussi cruellement de temps. « C’est beaucoup leur demander d’identifier et de définir les qualifications manquantes de leurs employés, de former ces derniers, en plus naviguer dans le monde entrepreneurial d’aujourd’hui… », estime Alexis Laprès-Paradis, de Propulsion Québec.

 

Difficile d’accéder à une main-d’œuvre qualifiée

Plusieurs entreprises admettent qu’il leur arrive de demander à des ingénieurs de faire des tâches qui pourraient revenir à des techniciens plus spécialisés.

« Je dirais que l’écart des compétences est plus prononcé du côté des métiers professionnels et techniques que du côté des ingénieurs, avance Alexis Laprès-Paradis. Les programmes universitaires en génie, même s’ils bénéficieraient d’ajustements, permettent d’acquérir un panier de compétences un peu plus vastes que les métiers spécialisés. Ça peut faire en sorte que la personne arrive à s’adapter un peu plus facilement, sur le terrain. »

Pour Xavier Montagne, les difficultés d’accès à la main-d’œuvre qualifiée « nous obligent parfois à faire du grand n’importe quoi ». « En effet, vous avez des ingénieurs qui font du travail de technicien, mais vous avez aussi l’inverse… Vous avez un technicien à qui vous demandez de faire une analyse technique un peu poussée, par exemple, parce qu’il est coupable d’être le seul disponible !»

Des entreprises québécoises des TEI fragilisées

Prises entre la rareté de la main-d’œuvre qualifiée, le rehaussement des compétences et la formation en continu qu’elles doivent offrir à leurs employés, et les exigences du marché hyper compétitif, les entreprises des TEI doivent se livrer à une gymnastique délicate sur laquelle se joue l’avenir du leadership québécois dans ce secteur.

« D’abord, ça veut dire qu’on développe et qu’on innove moins vite que d’autres, résume Xavier Montagne. Ensuite, le deuxième problème que ça cause, c’est une hausse du risque d’échec : quand on n’a pas les compétences nécessaires, on risque que ce qu’on développe ne fonctionne pas. »

Ce qui peut signifier de perdre sa position de pionnier, mais aussi, conséquemment, la confiance des investisseurs…

 

 

De grandes attentes envers les formations spécifiques aux TEI

La volatilité de la main-d’œuvre est également un défi pour ces entreprises qui investissent beaucoup de temps et d’argent dans la formation sans garantie que l’employé restera chez eux très longtemps.

C’est pourquoi de plus en plus d’initiatives cherchent à soutenir financièrement et concrètement les entreprises des TEI dans leurs démarches de rehaussement des compétences.

« Avoir de l’aide externe, ça me permettrait de récupérer du temps. Ça me permettrait de travailler sur d’autres sujets que sur de la formation et du coaching permanents », résume Xavier Montagne.

Pour y arriver, il faut également que le Québec développe des formations spécifiques aux TEI et accessibles à tous.

« Les entreprises qui offrent de la formation à l’interne ont peut-être développé un cursus qui serait très pertinent pour d’autres, mais le partage de l’expertise ne se fait de la manière la plus fluide possible, en ce moment », indique Alexis Laprès-Paradis.

« Mais c’est ce qui est excitant avec un secteur en émergence comme les TEI : il y a beaucoup de choses à mettre en place ! ajoute-t-il. Et il y a beaucoup d’acteurs qui sont prêts à mettre la main à la pâte. »