Reprendre une ferme, ce n’est pas juste une transaction. C’est souvent un saut dans le vide. C’est choisir de faire pousser quelque chose de vivant dans un contexte incertain, parfois rude, souvent exigeant. Et pourtant, au Québec, de plus en plus d’entrepreneurs agricoles font ce choix courageux. Parce qu’ils y croient. Parce qu’ils veulent nourrir le monde autrement.
Une relève fragile, mais plus déterminée que jamais
Au Québec, seules 20 % des entreprises agricoles ont une relève familiale identifiée, selon le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ, 2021) . Cela signifie que quatre fermes sur cinq risquent d’être vendues, transformées… ou fermées si personne ne les reprend.
Cependant, il y a une lumière dans ce constat : 69 % des fermes agricoles transmises au Québec le sont à des repreneurs, généralement externes à la famille, selon les données du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ, 2019).
Ces repreneurs, souvent jeunes, formés et très motivés, arrivent avec des idées nouvelles. Mais aussi avec leur lot de défis.
Reprendre une ferme, c’est affronter le réel
Obtenir du financement, se former, trouver un cédant prêt à transmettre son entreprise, apprendre à gérer, recruter, intégrer de nouvelles pratiques… Le repreneuriat agricole, c’est tout sauf simple.
Loin de l’image romantique du retour à la terre, les jeunes agriculteurs d’aujourd’hui doivent aussi composer avec un environnement complexe, des normes strictes, un marché exigeant et des technologies agricoles de plus en plus avancées.
Capteurs de sol, plateformes de gestion d’élevage, logiciels de traçabilité, tracteurs intelligents, drones, serres automatisées… L’agriculture québécoise est en mutation rapide. Pourtant, pour que ces outils fassent une réelle différence, il faut pouvoir les comprendre, les maîtriser, les financer et… les intégrer intelligemment.
Un filet de sécurité : l’écosystème québécois d’accompagnement
Heureusement, le Québec s’est doté au fil des années d’un écosystème solide pour soutenir la relève agricole. Parmi les ressources clés :
· L’ARTERRE, qui met en lien des aspirants agriculteurs et des propriétaires sans relève;
· La Financière agricole du Québec, qui offre jusqu’à 20 000 $ de prime à l’établissement pour soutenir la première installation;
· Le Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ), avec plus de 70 experts pour accompagner les projets de reprise ;
· Agriconseils, qui permet de couvrir entre 50 % et 75 % des coûts liés aux services-conseils agricoles
À cela s’ajoutent des programmes de formation comme :
· le programme en entrepreneuriat agricole du Cégep de Victoriaville;
· le camp d’entraînement agricole de l’Université Laval
Ces ressources permettent aux repreneurs de ne pas partir de zéro, de mieux planifier leur projet, de se former et d’intégrer un réseau.
Le programme Visées : faire le lien entre les compétences agricoles et les besoins d’avenir
Au-delà du soutien à l’établissement, un autre enjeu apparaît : adapter les compétences aux réalités agricoles actuelles et futures.
C’est là qu’intervient le programme Visées, porté par la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) et la chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM). Ce programme a pour objectif de mieux comprendre et anticiper les compétences nécessaires dans les secteurs en transformation, comme l’agriculture, et de créer des ponts entre les entreprises, les institutions d’enseignement, les acteurs de la formation continue et les partenaires sectoriels.
Dans le secteur agricole, Visées agit pour :
· identifier les besoins en technologies agricoles (capteurs, automatisation, gestion des données) ;
· proposer des formations et des outils concrets ;
· encourager des partenariats entre entreprises agricoles, centres de formation et instances économiques.
Visées s’appuie notamment sur les données du rapport d’Agricarrières sur les besoins en compétences technologiques dans le secteur agricole (2023), qui souligne que la majorité des producteurs souhaitent intégrer plus de technologie mais manquent de formation ou de ressources humaines compétentes.
Ce que nous disent les entrepreneurs
Et du côté de la transformation alimentaire, Vicky Blois des Fermes Basques témoigne de la complexité bien réelle :
« Aujourd’hui, on a besoin d’accompagnement entrepreneurial pour nous-mêmes, pas juste pour aider les producteurs. Il faut qu’on soit capables de mieux comprendre les outils comme l’IA, pas pour faire joli, mais pour cibler nos besoins, pour gagner du temps. »
Elle souligne aussi que beaucoup de producteurs ne comprennent pas ou n’utilisent pas les ressources disponibles, comme celles d’Agriréseau ou du CTEQ, par manque de clarté ou de lien personnalisé.
« Ce qu’il nous manque, c’est une vision claire et des outils concrets. Pas plus de structures. Ce qu’on veut, c’est éviter le dédoublement, pas rajouter des couches. »
Elle-même cherche un adjoint à temps partiel pour l’appuyer, preuve que la charge est lourde, même pour des entrepreneurs établis.
En conclusion : reprendre, oui, mais jamais seul
Reprendre une ferme, ce n’est pas juste un choix de carrière. C’est un engagement envers une terre, une communauté, une vision de l’avenir. Avec les bons outils, les bons partenaires, et un accompagnement humain, ce choix peut devenir une réussite.
Le Québec a mis en place les conditions d’un repreneuriat fort, intelligent et ancré dans la réalité. Et grâce à des programmes comme Visée, on donne à ces repreneurs les clés pour bâtir une agriculture durable, innovante et profondément humaine.