
L’automatisation dans l’industrie du meuble au Québec
Ou la fin de l’ère du «jus de bras» !
À Rivière-du-Loup, le fabricant de meubles contemporains Verbois réussit sa transition vers une automatisation accrue
Concevoir et fabriquer des meubles à prix compétitifs au Québec, en 2025, sans l’apport de robots et de programmes informatiques sophistiqués? Impossible! Les cinq copropriétaires de Verbois l’ont bien compris… tout comme leurs employés.
« Quand on parle d’automatisation et d’innovation technologique, je dirais que c’est presque davantage nos gens qui nous poussent dans le dos que l’inverse! » lance Étienne Gagnon, directeur des opérations et du développement des affaires, et copropriétaire de Verbois, qu’il a racheté en 2021 avec ses partenaires Marie-Ève D’Amours, Pierre-Olivier Charest, Aglaée Côté et Gilles D’Amours.
L’innovation technologique n’épargne aucun secteur
M. Gagnon estime qu’environ 60% des opérations de l’entreprise sont automatisées.
En usine, tous les produits qui doivent passer d’un département à l’autre le font sur des convoyeurs robotisés. Depuis peu, un autre robot, entièrement programmé par une équipe à l’interne, s’occupe du sablage et du décapage.
Et l’équipe concentre de plus en plus ses efforts à automatiser les autres secteurs de l’entreprise.
Bientôt, les informations sur la performance des divers démonstrateurs sur le plancher des détaillants qui tiennent les meubles Verbois seront 100% automatisées—et au moins 100 fois plus détaillées, ce qui permettra à Verbois de raffiner son intelligence d’affaires sur ses produits.
Un gain de temps considérable
Ailleurs, l’IA s’occupe déjà de produire les résumés de toutes les rencontres de la direction (« Ça a l’air banal, mais ce sont des minutes précieuses qu’on ne perd pas à taper des post-mortem », insiste Étienne Gagnon), et leur permet de récupérer du temps pour faire des tâches qui ont davantage de valeur ajoutée.
La conception est elle aussi en voie de vivre sa petite révolution: « On va automatiser une partie des opérations reliées au design et manufacturing, soit tout ce qui touche à la phase de production. Par exemple, on va pouvoir générer les fichiers d’usinage par ordinateur plutôt que de les faire manuellement, explique Étienne Gagnon. On prévoit que ça va réduire la tâche de nos designers et de nos ingénieurs de moitié. »
Vous avez bien lu : entre 40 et 50% des heures actuellement travaillées par ces employés seront rendues disponibles. Avec tout ce temps neuf, l’équipe pourra concentrer ses efforts sur le développement de nouveaux produits dans de nouveaux secteurs dans la mire de Verbois, comme le mobilier de jardin, ou les meubles avec des technologies intégrées.
Une question de vie, de mort et d’évolution pour les entreprises
On pourrait saluer le côté visionnaire de l’entreprise, mais Étienne Gagnon en fait plutôt une question de survie: « En toute honnêteté, sans ces changements, je ne crois pas que l’entreprise serait encore en fonction aujourd’hui. On aurait besoin aujourd’hui de 25 à 30 personnes supplémentaires [sur un total de 43 employés] pour produire le même volume avec la même qualité. »
Au fil des années, le profil-type d’un employé chez Verbois s’est d’ailleurs transformé. « On a beaucoup plus de gens qui ont des compétences en électromécanique, en machinage ou en programmation, par exemple, tandis que, par le passé, on avait plus de spécialistes en ébénisterie. »
Plus de compétences professionnelles, moins de “jus” de bras!
Pour l’équipe, chaque nouvelle implantation s’accompagne évidemment d’heures de formation à l’interne ou à l’externe et de mentorat pour apprendre à maîtriser les nouveaux outils et à développer les compétences nécessaires.
On pourrait croire qu’autant de changement provoquerait de la résistance—au contraire.
« À titre d’exemple, le projet d’automatisation qu’on est en train de mettre en place du côté du design, en ce moment, c’est du bonbon pour nos designers : on fait de la place pour la recherche, la création et la conception en leur enlevant les tâches redondantes et plates, qui ont peu de valeur ajoutée pour eux comme pour l’entreprise. »
Ce type de tâches répétitives et/ou déprimantes (« Quand on se rend compte à l’étape de la finition qu’il y a un cheveu qui s’est déposé dans le vernis et qu’il faut recommencer, c’est assez « plate ». Le robot, lui, ça ne le dérange pas, de décaper ça », illustre M. Gagnon. » est d’ailleurs la première cible de tous les projets d’automatisation.
Tout comme celles qui peuvent causer des blessures. «Tendinites, bursites—on essaie d’éliminer tout ce qui peut provoquer des blessures qui riment en “ite”», poursuit-il.
« Le temps qu’on arrive à libérer permet à nos employés d’utiliser davantage leurs compétences que leur jus de bras », résume-t-il on ne peut plus efficacement.
Ce qui donne une entreprise plus agile et innovante, davantage axée sur la R&D, et qui permet à Verbois de se développer en comptant sur ses ressources internes, sans avoir à accroître constamment la masse salariale et à former de nouvelles personnes.
Une culture d’entreprise tournée vers l’inovation
L’équipe qui a racheté Verbois des mains de son fondateur, André Boucher, en 2021, a eu la chance de tomber sur une entreprise tournée vers l’avenir : Verbois avait déjà implanté une grosse cellule robotique dans l’usine quelques années avant la transaction. « Quand on est arrivés, l’équipe avait eu le temps de voir les effets positifs de cette première phase » relate Étienne Gagnon.
Ce qui a fait en sorte que, quand, à peine un an après leur arrivée, les nouveaux propriétaires de Verbois ont entamé l’implantation d’une deuxième cellule robotique substantielle dans l’usine, non seulement les employés sont embarqués de bon gré dans le projet: ils avaient de l’expérience.
» Les gens qui avaient mené le premier projet connaissaient déjà toutes les erreurs qu’on ne devait pas reproduire pour le deuxième! »
Les projets d’automatisation, quand ils sont bien menés, rehaussent la motivation des employés et, ultimement, leur sentiment d’appartenance à l’entreprise et à ses différents projets.
» Pour nous les dirigeants, c’est tellement stimulant de travailler dans un environnement où c’est notre monde qui nous pousse à innover! Notre rôle devient alors surtout d’établir la vision à moyen-long terme, de la partager avec les employés pour qu’ils sachent où on s’en va, puis de prioriser les projets selon les ressources humaines et financières qui sont disponibles. C’est hyper motivant pour tout le monde, nous compris. «
Un remède contre la résistance au changement
Toutes les entreprises n’ont pas la chance d’avoir une culture de l’innovation aussi bien implantée que celle de Verbois: comment faire alors pour contrer une éventuelle résistance au changement dans l’équipe?
Pour Étienne Gagnon, il faut intégrer les employés concernés par un projet d’automatisation dès le départ. « C’est le morceau le plus important. Non seulement parce que, quand on implique les gens au tout début, on n’a pas besoin de leur “vendre” le projet: ça devient le leur, et ils veulent que ça fonctionne. Mais aussi: ce sont eux, les spécialistes de leur département. Ils voient des choses que nous, les dirigeants, on ne voit pas. »
Et réussir, ensemble, un premier projet d’automatisation permet d’installer un climat de confiance qui met la table pour le prochain projet.